L’échec de la consultation publique sur la réforme des retraites
En gommant toute référence à la réalité économique, la consultation publique sur la réforme des retraites a empêché les participants de mesurer les enjeux et donc de se prononcer en connaissance de cause sur la réforme des retraites.
Après plus de six mois, la consultation donne le sentiment d’avoir créé plus de confusion que de clarté. Pire, elle a nourri les espoirs, à notre avis très illusoires, de participants qui se sont exprimés en grande majorité pour un système de retraite plus généreux dont le déficit serait comblé par des financements « externes » au système par répartition.
En voulant dissocier les choix de société et de solidarité de leur fondement économique et de leur financement, le haut-commissaire à la réforme des retraites s’est mis dans une impasse. Il est impossible de réconcilier les souhaits des participants avec un objectif de réforme « à moyens constants. »
Le déni de la réalité économique
La semaine dernière, Jean-Paul Delevoye, le haut-commissaire à la réforme des retraites, a présenté un « point d’étape, » une synthèse du dispositif de participation citoyenne lancé en mai devant un parterre de citoyens et de professionnels réunis au Ministère des Solidarités et de la Santé.
Pour mémoire, la consultation consistait en un certain nombre d’ateliers tenus en région et en île de France et en une plateforme en ligne où les citoyens étaient invités à s’exprimer sur 11 grandes thématiques, allant de l’universalité du futur système de retraite aux conditions de départ à la retraite et aux droits des conjoints.
En introduction, le haut-commissaire s’est encore une fois félicité de ce que la réforme des retraites était conduite sous le patronage du Ministère des Solidarités et de la Santé et non sous celui du Ministère de l’Économie. De fait, la consultation a été conduite sans aucune référence économique. Par choix, aucun chiffre de nombre de personnes concernées et de coût des différentes mesures de solidarité n’était apporté à la discussion.
Un monde de bisounours
En l’absence de références économiques, les discussions ont porté sur les principes généraux de solidarité, des « choix de société » dans l’abstrait.
Par exemple, la consultation a montré que les participants approuvent le principe d’universalité du futur système de retraite dans lequel un euro cotisé donne les mêmes droits à tous. Cependant, ils veulent également tenir compte de spécificités telles que la pénibilité ou la dangerosité de certains métiers, ou encore le handicap ou les charges de famille du cotisant. Comment fixer les limites de l’universalité ? Comme s’assurer que le système ne revienne pas rapidement à sa complexité actuelle, à la multiplication des conditions particulières ?
Ces questions ont été à nouveau débattues avec la salle lors de la présentation. D’une manière générale, la présentation a donné plus de place aux discussions informelles qu’aux résultats de la consultation en ligne qui avait recueilli 230.638 votes de 24.000 inscrits. Les conclusions, pourtant très claires, de ces votes, que nous résumons ci-dessous, ont à peine été mentionnées.
Les personnes qui assistaient à la présentation ne s’y sont pas trompées. Elles ont déploré que la question du financement des retraites ait été évacuée. Un groupe a même qualifié la discussion de « bisounours » tant elle se maintenait au niveau de généralités.
Un catalogue de souhaits
Le rapport de plus de 400 pages sur les résultats de la consultation en ligne montre clairement qu’en l’absence de repères économiques, les participants se sont quasiment systématiquement prononcés pour des règles qui rendraient le système de retraite plus flexible et plus généreux que les systèmes actuels.
Ils ont voté pour un élargissement des libertés et des mesures de solidarité actuelles. Exemples (non exhaustifs) :
- 80% pour « pouvoir partir à la retraite quand on le souhaite » (et donc supprimer l’âge minimum existant).
- 82% pour permettre aux personnes qui ont commencé à travailler tôt de partir plus tôt.
- 81% pour « verser la pension de réversion sans aucun critère d’âge pour le conjoint survivant » (supprimer l’âge minimum existant dans la plupart des régimes).
- 88% pour que les congés liés à l’arrivée d’un enfant n’aient pas de conséquences négatives sur la retraite.
- 92% pour des retraites « planchers» supérieures au minimum vieillesse.
- 86% pour permettre d’acquérir des droits de retraite pour les congés maternité/paternité.
- 79% pour octroyer strictement les mêmes droits à la retraite pour les congés maladie que pour les périodes de travail cotisées.
- 91% pour étendre l’acquisition de droits pour les périodes de formation professionnelle, d’apprentissage ou d’alternance.
En grand nombre ou en majorité, les participants en ligne ont voté contre les restrictions actuelles d’âge minimum légal et de durée minimum de cotisation.
- 65% contre plafonner la réversion en fonction des revenus personnels.
- 58% contre combiner une règle d’âge et d’une condition de durée d’activité.
- 43% contre maintenir un âge minimum pour partir à la retraite.
- 44% contre maintenir des incitations financières les personnes qui partent après l’âge légal.
Ces souhaits d’augmentation des droits de retraite représenteraient des coûts supplémentaires incompatibles avec la réforme des retraites « à moyens constants » que le haut-commissaire s’est donné comme objectif.
Comment les financer ? Les participants ont proposé des financements « externes » au système de retraite par répartition, tels que la taxation des robots, des plateformes, de la finance et la lutte contre l’évasion fiscale et la fraude sociale… Des propositions peu réalistes qui vont à l’encontre des objectifs d’équilibre financier non seulement du système de retraite mais aussi du budget du pays en général.
Le haut-commissaire n’a pas les chiffres
Jean-Paul Delevoye a bien pris note de ce qu’il aurait été intéressant de chiffrer les propositions ou, au moins, les enjeux. Mais, à son grand regret, a-t-il dit, il n’a pas les chiffres (!).
De nombreux chiffres sont pourtant connus. Nous sommes le pays d’Europe qui dépense le plus pour son système de retraite, 14% de la richesse nationale, soit 330 milliards d’euros.
Prenons l’exemple des réversions. La France dépense actuellement 36 milliards d’euros par an pour les pensions de réversion, soit 11% du budget total des retraites. Les participants se seraient-ils prononcés pour l’élargissement de la pension de réversion à toutes les unions (concubinage, pacs) et quel que soit l’âge du conjoint survivant au moment du décès si on leur avait présenté le coût de cet élargissement ?
Mettre des chiffres sur les enjeux aurait permis aux participants de mieux comprendre les limites de la retraite par réversion qui finance les retraites par les cotisations et les impôts des actifs. Ils auraient pu arbitrer entre des mesures en tenant compte de leurs coûts respectifs.
La réforme sans langue de bois
La vérité est que la réforme des retraites sera loin d’exaucer tous les souhaits. Comme l’a dit sans langue de bois madame Yannick Moreau, Présidente du Comité de suivi des retraites au Conseil d’État :
« Il y a eu un moment maximum des retraites qui ne reviendra jamais. Les réformes des retraites sont toujours des moments difficiles pour les gouvernements… Cette réforme sera difficile. »
L’objectif de la consultation était de permettre aux participants et, à travers eux, aux Français de s’exprimer et de comprendre pour avoir confiance dans la réforme. Un pan essentiel de la réalité ayant été occultée, c’est un échec.